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Quand un déplacement devient une oeuvre d'art



J’ai peur des vieux. Souvent j’aime à dire qu’il y a un âge limite pour commencer l’impro. Et puis… Marie Parent m’a emmené avec elle… rencontrer des vieux, qu’elle fait travailler en impro depuis 2 ans déjà. Des vieux entre 65 et 93 ans… Ça faisait longtemps qu’elle me disait de venir. Mais moi, les vieux… 

Il est admis que les vertues pédagogiques de l’impro sur la jeunesse sont remarquables pour le développement de nos chères tètes blondes. Mais qu’en est-il de nos vieux ? Doit-on encore attendre quelque chose d’eux ? Être exigent ? Mais finalement, c’est quoi un groupe de vieux ? C’est ce que je découvre dans ce lieu, en arrivant avec Marie. La Longère à Mordelle en Ille et Vilaine. Un modèle unique en son genre, une sorte de MJC pour les vieux. Un endroit de convivialité et de projet. 

Marie pose avec ce groupe plusieurs questions centrales à notre métier. Forme-t-on les gens ? Et en particulier, à quoi ça sert de former des gens à être improvisateur ? Ou encore, qu'est-ce que l'on doit apprendre quand on est improvisateur ? 
Devenir improvisateur, ça n’a aucun intérêt en soi. Ça ne sert pas à grand chose… Pourquoi improvise-t-on ? Pour s'exprimer. Mais pour dire quoi ? La spécificité de l'improvisation est d'écrire du théâtre à vue, sur scène. De travailler la matière TEMPS, et ESPACE au présent. De s'inscrire avec force dans l'ici et le maintenant. De mettre à nue l'acte de création artistique. Cette sculpture du temps présent se fait à la vue du public, souvent avec de très beaux outils, mais rarement des oeuvres intéressantes.


Travailler avec des personnes âgées ramène à l’essentiel et à l’urgence. Pas le temps de s’encombrer avec de la technique inutile. On ne formera pas des techniciens, on va créer des artistes. J’emploie le terme « personnes âgées » maintenant, car en fait, tout comme l’enfant, le vieux est une personne… Mais agée :-). Ce n’est pas juste politiquement correct. C’est une réalité objective qui ramène à la particularité de ce public : L’urgence. Avoir quelque chose à raconter. jusqu’au bout, jusqu’au dernier souffle, au dernier pas. Ici et maintenant. Demain il sera trop tard. Peu d'outils. Peu de temps. Art Brut

Jesse Reno - Old 2
Marie les fait travailler sur leur(s) mémoire(s). Pas seulement la mémoire physique. La Mémoire, avec un grand M. Celle qui nous raconte les années 50, les films en noir et blanc, les années 70, 80 quand ils avaient 40 ans… la libération de Paris, les bals, les douleurs, la vieillesse, leurs désirs, leurs désillusions, leurs amours… Et c’est la personne dans sa globalité qui apparait sur scène. Séductrice, vivante, mordante, ou sensible. Enfermée dans ce corps douloureux et défaillant. La jeunesse, la vie… Et je les vois. Je ne me vois plus moi, dans ma peur d’être eux un jour, je les vois eux. Si drôles, et si bouleversants. 

Nous travaillons toutes la journée avec Marie, sur la mise en scène d’un spectacle improvisé, s’articulant autour de tableaux liés aux souvenirs, aux émotions. Et puis à un moment, Guy, un homme de 93 ans. Il doit entrer sur scène. Il doit traverser le plateau pour aller s’asseoir face à celle qu’il aimera la scène suivante. 10m. Tellement loin. Tellement dangereux pour cet homme qui a si mal. Et il avance. Lentement. La beauté de l’instant figé. Le théâtre réduit à sa plus simple expression : un déplacement. Un déplacement chargé d’une vie de 93 ans. Un déplacement qui se suffit à lui même. Moment de grâce et de beauté absolue qui échappe à son interprète. Puis il arrive, il touche l’épaule à « son amoureuse » dans un remerciement silencieux et s’assoit en face d’elle.

Depuis, j’ai moins peur des vieux et j’ose les regarder.

Christophe Le Cheviller pour Impro-Bretagne




'IMPROV IS NOT DEAD'




Octobre 2016, Théâtre Le Comedia, (Paris-la-capitale). 
Au sortir du lancement du Trophée Culture et Diversité,  je m'étais jurée d'écrire un papier sur Jacques Livchine et Hervée De Lafond, créateurs du Théâtre de l'Unité, grands-parents de l'improvisation théâtrale et figures incontournables du théâtre de rue en France...

Midinette comme je suis, inféodée au talent, j'avais été frappée par la foudre, à l'instant même où ils s'étaient adressés à l'assemblée de coachs, pour témoigner de leur expérience de comédiens, artistes militants, de directeurs de Théâtre et de Compagnie ;

Deux personnalités charismatiques, aussi libres qu'irrévérencieuses ; Des septuagénaires, arrogants comme à 20 ans et si humbles de par leur capacité à tenir l'exigence, à travailler sans relâche, à inventer encore.

Un non-couple intimement lié qui, dans le même entretien prétend avoir tout prédit de la société ... autant qu'il rit, se remémorant les échecs essuyés au cours de ses faits d'armes.

Retranscription non exhaustive mais presque objective d'une intense heure d'entretien où il est question du Match et de Kapouchnik, d'arts, de culture et de politique ; de voyous- voyeurs-voyants, de douane polonaise comme de pompier de Saint Quentin en Yvelines, d' Anton Tchekhov, de Patrick Sébastien et de Pierre Moscovici.


Marie Parent: C'est bien vous qui avez activement été à l'origine des matchs d'improvisation en France : ça s'est passé comment au juste ?

Hervée De Lafond et Jacques Livchine :

Oui, aux origines en 1981, Leduc et Gravel de la Ligue de Montréal sont venus à Aubervilliers et ont demandé à rencontrer les comédiens français.
Aubervilliers a demandé à plusieurs compagnies dont le Théâtre de l'Unité et on est venu à 3/4 , En 1 journée, on a fait un premier match... Emballés, ils ont émis le souhait qu'il y ait une ligue d'impro à Paris. On a fait des tas de répétition au théâtre d'Aubervilliers et puis 1 ou 2 matchs ;. Près de 100 comédiens sont passés à Aubervilliers pour répéter.
Peu à peu, au bout de 6 mois d'entraînement tous les lundis, (un endroit formidable de travail parce qu'on faisait connaissance avec plein de comédiens), on a dit qu'on était prêt à organiser un match et on a fondé la LIF (Ligue française d'improvisation) dont Jacques a été le premier président. On a commencé à vendre des matchs à des villes, On s'est fabriqué une patinoire au début, on n'était pas payé du tout, on investissait... Et on a commencé à créer des matchs un peu partout. On étaient très mauvais d'ailleurs … très mauvais, mais c'était très emballant...

Marie Parent: Qu'y avait-il de si emballant, en quoi était-ce différent et nouveau ?

Hervée De Lafond : Le mélange formel sport et théâtre était passionnant, les contraintes qui étaient données ne nous enfermaient pas, bien au contraire mais étaient dures à intégrer dans notre esprit français. Ça a été long avant qu'on les intègre ! Ce qu'il y avait d'amusant c'est que les comédiens qui avaient fait de grandes écoles de théâtre, des gens qui sortaient du conservatoire en particulier, étaient absolument à chier …
Jacques Livchine : L'improvisation exige des qualités orales et physiques et de lâcher prise que n’avaient pas tous ces comédiens et ça on adorait ! En fait, les québecois nous ont appris cette spontanéité alors que les comédiens classiques avaient énormément de mal à sortir de leur cadre.

HD : Ceux qui surnageaient (comme nous) avaient l'habitude de faire de la rue ou du hors les murs s'en sortaient beaucoup mieux !
J L : Nous allions sur des sentiers que l'on ne connaissait pas, la manière américaine...
Ce qui nous fascinait c'était la décontraction avec laquelle les comédiens québecois jouaient, leur calme... Les québecois, jouaient quasiment en mâchant du chewing gum. Nous avons beaucoup appris quand nous sommes allés jouer au Québec sur leur terres
Et puis...
L'égo mal placé était ramené à sa juste place en fait, les godasses ou chaussons balancés remettaient les compteurs à zéro.

Enfin, c'était l'occasion incroyable surtout d'un grand rassemblement de comédiens et de rencontres multipliées.

Bref...
Arès un grand écrémage, on s'est retrouvé une vingtaine à Créteil et là grand stage de 2 jours : on tournait comme coachs sur les ateliers et ce qu'on adorait c'était qu'on s'auto-éduquait ! Et là, quelques personnalités au dessus du lot se révèlent et deviennent indispensable : Eric Métayer, Michel Lopez... on a été rejoint aussi par Rufus...

La gouvernance était formidable, dans les réunions pour faire la sélection, il n' y avait pas de chef, des prises de becs incroyables, on votait ensuite à bulletin secret. Il y avait aussi des questions de savoirs être qui comptaient beaucoup en fait.
Pour anecdote : une comédienne qui se plaignait de ne pas avoir été retenue alors qu'elle se disait 'bonne' s’était vue rétorquer par Hervée « oui tu es bonne mais tu es chiante »... c'était l'apprentissage du collectif absolument génial !.

H D : On adorait la dimension COLLECTIVE, relations intér-équipes et intertroupes !Le mélange nous intéressait beaucoup ;

MP : Et alors, comment êtes-vous arrivés au Bataclan ?

J L : Lorsqu'il a fallu chercher des salles pour faire connaître les matchs, on a prospecté et avec beaucoup d’enthousiasme, le directeur du Bataclan, nous a accueilli à bras ouvert, et nous a mis à disposition sa salle gratuitement, tous les lundis.
Tout de suit c'est devenu un rdv parisien incontournable fréquenté par les profs les médecins, les bobos de l'époque...

H D : Ce qui créaient l'engouement aussi c'est qu'il y avait des vedettes françaises et américaines qui venaient à chaque rdv et qui parrainaient les équipes, il y avait Bedos, Métayer, Jolivet... Eux-même invitaient leurs amis...
C'étaient une ambiance incroyable, tout le monde clopait, il y avait même une crêpière !
Et puis dans la patinoire d'autres vedettes jouaient (Miou Miou, Genest, Moustaki, Charlebois) On avait les médias, des musiciens, c'était un spectacle total !

Ce qui était impressionnant, c'est à quel point cet échec sur la patinoire, impossible à éviter sur des impros- était difficile pour les comédiens reconnus...
C'était très dur pour eux, peu persistaient..
Tout le monde était traité à égalité, c'était intéressant, c'était ça le propos !!

Le Bataclan c'était l'âge d'or pour nous ! Puis il y a eu le cirque d'hiver... C était trop grand mais ça a marché d'enfer quand même,

Au bout de 10 ans on s'est mis à tourner en rond, des démarrages d'improvisation toujours identiques toujours les même personnages, les mêmes histoires et les mêmes réactions du public...

M P : C'est là, c'est pour cette raison que l'aventure match s'est arrêtée pour vous?

H D : Oui on a été nommé directeurs de la scène nationale de Montbéliard, on a juste fait 2/3 matchs la bas et puis on a arrêté, plus de réservoir de comédiens et puis franchement on était lassé vraiment..

Ah si ! Faut quand même le dire, entre temps il y a quand même eu les mondiaux , là ça relançait l'excitation, il fallait parler d'autres langues, découvrir d'autre cultures, d'autres façon de jouer !

M P : Qu'avez vous gardé du match ?

J L : Mmmm, les produits dérivés, les impostures notamment. On était demandé par les boîtes privés, on n'aimait pas beaucoup...

Mais en fait et surtout... on a décidé de politiser le match d'impro !
Et en 2003, on a créé le Kapouchnik.

M P : Le Kapouchnik est un comme un cousin éloigné du match d'impro, c'est bien ça ?

H D : Oui...
Un spectacle d'improvisation avec des mélanges de comédiens qu'on ne connaît pas, des règles, des rites, rituels, toujours les mêmes (hymne, musique...), la similitude et ce qui nous plaît beaucoup, c'est que le public n'a pas l'impression de voir du théâtre, il est excité comme à un match de foot, il règne une ferveur incroyable ! Et les comédiens sont en permanence sur le fil de l'échec. Il y a toujours aussi la question de l'attachement au comédien qu'on a avec les match et qui nous plaît !

J L : Mais avec le Kapouchnik, on a décidé de sortir du divertissement. Avec le match, les rires devenaient toxiques, et les comédiens se forçaient à faire des vannes, la gaudriole devenait l'ennemi (les français ont malheureusement tous une case Bigard... c'est le problème du off à Avignon d'ailleurs)
Avec le Kapouchnik, on a aussi rencontré ce problème au début ; Mais pour contrer ça on a décidé d'imposer des sujets, dans notre préparation ,

H D : Alors ici les comédiens peuvent reprendre un certain pouvoir sur le public et finalement le public accepte et adore.

M P : Comment fait-on un spectacle politique, qu'est ce qui garantit son inscription dans le réel ?

On y traite des sujets politiques et d'actualités comme la montée du front national, les migrants, le Tsunami, les casques blancs d'Alep...
Après dans le K, il y a toujours un ou deux sujets archis bouffons !

Pour garantir aussi l'inscription du Kapouchnik dans le réel, on a imaginé et intégré dans le spectacle en ouverture, une petite scène ou chaque comédien raconte quelque chose de personnel, d'important voir de grave (Jacques a raconté l’enterrement de sa mère, une autre comédienne à évoqué son avortement...)
Enfin, quand on parle d'une personnalité- y compris locale- on tâche de la faire vraiment exister sur scène et on la ridiculise comme les autres. Notre maire ou Pierre Moscovici de notre région n'y ont pas échappé !


M P Et ça marche ? Quel succès cela rencontre-t-il auprès du public?

H D : Énorme ! Le public, très populaire cette fois contrairement à Paris, se déplace en masse. Surtout en période électorale ! Toute notre vie nous avons espéré ce type et fréquentation de public, c'est un miracle et c'est magnifique.
Tous les mois 400 personnes se déplacent en une matinée, on remplit les réservations !
Nul bonheur n'étant parfait, ce public ne vient pas encore voir nos pièces de Répertoire... C'est chiant mais c'est comme ça.
Nous sommes très fiers, le Kapouchnik est subversif, le match n'est plus que divertissement, des fois les gens viennent nous engueuler à la fin ! C'est indispensable !

M P : Ca fait 13 ans le Kapouchnik et là... vous ne vous lassez toujours pas ?

H D : Non on est souvent terrorisé mais il y a toujours à raconter ! En tous cas, notre règle c'est que le plaisir soit toujours plus important que notre peur et pour l'instant, c'est absolument le cas !


M P : Vous travaillez depuis presque 50 ans, sur une multitude d'autres formes théâtrales et notamment sur des pièces de Répertoire, des performances,  des installations ...
Quelle part à l'improvisation dans votre recherche et production ?

H D : On a souvent travaillé sur des impros longues ex. La nuit unique à Calais(7 h). En fait tous nos spectacles de rue sont de longues impro à canevas, la 2 CV, spectacle majeur dans notre parcours était grandement improvisé !

J L :C'est paradoxalement l'impro qui nous a amené au texte, on en avait marre du langage oral à l'Unité, alors nous nous sommes mis à travailler du Tchekhov, on se desséchait... On s'est dit qu'il fallait se ressourcer avec du texte.

M P : En parlant de texte, je me suis amusée à reprendre certaines de vos citations en les transformant en questions, une façon de les comprendre plus profondément et de vous connaître davantage...
Alors ...

M P : Êtes-vous « Plus voyant plus voyous plus voyeurs » ?

J L : On est les 3, c'est ça le truc!
Hervée, c'est elle la voyou, elle rue dans les brancards , elle tape les flics, une fois on a quitté la Pologne en catastrophe, par une douane de secours, parce qu'on était poursuivi, elle avait frappé la milice pour rire ça n'avait plu...Et puis il y a eu tellement d'autres aventures...

Voyeur parce que on passe notre temps à regarder les gens vivre et à les analyser et c'est que qui nourrit notre théâtre.

Voyant, parce que je ne veux pas nous vanter, n'empêche tout ce qui passe en France on l'a vu venir et on l'a joué (Montée du FN...)

M P : Pourquoi faut il « aller là où il y a du désert »?
J L : Parce que c'était notre mot d'ordre dès le début, si on faisait ce que tout le monde faisait, on allait pas être les meilleurs, Quand on a commencé le théâtre de rue, on était tout seul, le Kapouchnik, on est tout seul en France, on tient beaucoup à faire naître des choses nouvelles, on a, par exemple, fait un spectacle de 13 jours et 13 nuits, un Macbeth en forêt au flambeau … un bordel dans un Hôtel, une spectacle pour démocratiser la tragédie grecque à l'adresse des chiens...

M P : Hervée,  qu'entends-tu par " c'est la haine des vies gâchées qui nous tient en éveil "?

H D C'est ce qui me bouleverse tout le temps, c'est qu'on est entouré surtout ici à Audincourt d'une flopée de vie gâchées et on veut au moins dire en théâtre pourquoi il y a des vies gâchées... et essayer de donner au public les armes de l'esprit...

M P : Mais... c'est quoi au juste une vie gâchée ?

H D : Oh il y a plein de façons, c'est ceux qui ne réalisent rien leur rêves, qui ratent leur vie affective, professionnelle, tous ces jeunes que l'on rencontre, ceux qui ne lisent pas, n'écoutent pas de musique, ne lisent aucun poème... on est des pompiers en quelque sorte. Mais attention, on ne veut jamais faire la morale, attention jamais! Notamment avec les jeunes sortis de prisons et que l'on accueillait, dans nos chantiers d'insertion scénographiques... Je me rappelle de ce chef pompier à Saint Quentin en Yvelines, qui avait dit lors d'une réunion avec les acteurs sociaux et culturels locaux, «  Il faut donner de l'argent public au théâtre de l'Unité parce que si nous, on ramasse les jeunes qui se suicident , eux,  les en empêchent parfois » …

J L : Nous, on veut faire du populaire classieux, notre ennemi numéro 1 c'est Patrick Sébastien, même si le gars est hyper généreux et que je l'aime pourtant beaucoup, mais il faut tout de même faire monter l'âme d'un petit centimètre...

H D : Par exemple dans les Kapouchniks, on prend des styles, des grands créateurs, des auteurs ( Claude Regy, Bob Wilson, Pina Bausch récemment) -sans prévenir notre public d'Audincourt- qui fuirait sinon et on traite nos impros à leur manière (comme dans l'idée du match mais vraiment cette fois) !

Enfin...
M P : Pourquoi « Si on invente rien, nous dévorez-vous ? »

J L : Il y a quantité de gens qui meurent de ne s'être jamais renouveler, c'est le théâtre vieux...
Pour nous on n'a pas le droit de reproduire ce qu'on a déjà fait, c'est très dur, c'est un 'pétard dans le cul' parce qu'on est toujours obligé de trouver autre chose... ça nous arrive bien entendu, mais ce n'est pas plaisant... Le Théâtre du Soleil lui invente toujours... On essaie de faire changer le public de chemins, la seule façon d'y arriver c'est de procurer des émotions. Toi, t'as vécu une émotion au théâtre qui t' a fait bouger sûrement ? Le théâtre a le devoir de faire bouger voilà tout. »

           
... Voilà tout... Quand l'intransigeance et la rage de créer ont l'élégance de durer toute une vie...
                                     


Pour en savoir plus sur le THÉÂTRE DE L 'UNITÉ: http://www.theatredelunite.com/
                                                                 Marie P. pour Impro Bretagne, le 17/01/2017

Une autre journée du héros

On peut dire ce qu'on veut à propos des vacances de Noël, c'est un des rares moments où on peut revoir Sissi ou des vieux Belmondo à 15h de l'après midi. Si les semaines avant Noël ont vraiment été longues et fatigantes, on peut même enchainer avec un bétisier. J'ai donc profité de mes congés en Normandie pour accrocher 30 minutes du film de Jean Paul Rappeneau Les Mariés de l'an II. N'ayant pas vu le film en entier, je serai incapable de me livrer à une quelconque critique mais je vais par contre tenter de partager les envies d'improviser qu'il m'a éveillé. Nous en profiterons aussi pour parler Mac Guffin selon Hitchcock, enjeux et structure narrative.

Dans le film de Rappeneau, le personnage de Belmondo cherche sa femme pour pouvoir divorcer d'elle. L'intrigue se déroule durant les mois qui suivent la révolution de 1789 et le pays est en ébullition. Cette quête de Belmondo est un pur prétexte pour permettre à Rappeneau de filmer la révolution et réaliser une sorte de tableau des différents partis en présence à l'époque. Le film s'organise comme une suite de situation dans lequel Henry (le personnage de Belmondo) va venir se fourrer, presque toujours par hasard. Il n'est au centre de rien, toujours périphérique, prend très peu de décision, et quand il en prend, elles sont pulsionnelles et non réfléchies au service de sa quête. Soumis aux soubresauts de l'époque révolutionnaire, Belmondo erre. Il marche, se prend les pieds dans une situation fortuie, roule, se lève, tombe dans un autre trou, roule etc.
Cela donne une impression étrange au spectateur. Henry n'est pas vraiment un héros. Il n'y a pas vraiment d'histoire. Il y en a de multiples, et le personnage finit d'ailleurs par s'épaissir au fur et à mesure de ces mesaventures.

J'ai joué beaucoup de longues formes ces dernières années mais jamais de cette façon. J'ai appris, comme nombre d'entre nous je pense, à trouver un enjeu fort pour les personnages principaux et à faire avancer l'histoire en fonction de ces enjeux. Les propositions des autres joueurs sont des services, c'est donc bien qu'il servent l'histoire principale et oeuvrent à sa résolution. Là, il s'agit au contraire de faire l'école buissonnière le plus souvent possible. Perdre son temps pour raconter ce qu'il y a autour. Le héros n'est qu'un fil conducteur entre des histoires qu'on devine plus longues mais dont on ne voit que des extraits, ceux que le héros traverse. Ramené sur une impro longue, il s'agirait donc de donner à un personnage un enjeu, quel qu'il soit, mais de choisir de ne pas le traiter en priorité. Les comédiens au service s'amuseraient alors à créer des situations qui n'ont rien à voir avec l'enjeu du héros, qu'il traverserait, sans forcément les résoudre, puis plongeraient dans une nouvelle situation proposée par ses partenaires. Le travail du "banc" devient donc radicalement différent et complètement libre. Une scène du film résume à lui seul cette méthode. Belmondo se rend à une adresse où il espère obtenir des informations sur sa femme, et quand il rentre, des gens répètent une scène lyrique. Le pianiste l'interpelle et lui dit "ah tiens vous êtes là". Belmondo est pris pour quelqu'un d'autre, et va donc suivre pendant quelques temps l'histoire d'un autre. Pas la sienne. 
Oh le beau spectacle ! Celui dans lequel chaque nouvelle scène commencerait par "ah tiens vous êtes là", et le héros se retrouverait dans une situation complètement nouvelle, sans logique apparente avec le début de l'histoire. Tout est à construire, à inventer, à justifier. Le personnage principal devient un conteur qui éclaire des situations jusque là cachées aux yeux du spectateur.

Dans ce procédé le héros devient une sorte de MacGuffin. Hitchcock définissait le MacGuffin comme l'objet après lequel tout le monde court, méchants comme gentils, mais dont l'importance est secondaire. Prétexte à l'histoire, il n'a même pas besoin d'être défini précisément ni d'être trouvé. C'est un moteur qui met en action les personnages et les oblige à se croiser. Ne pas préciser un élément est souvent une des grosses lacunes des improvisations. Personne ne sait vraiment de quoi on parle : C'est quoi cette valise ? Elle est à qui ? Pourquoi la cherche-t-on ? En quoi c'est important ? Ce sont des questions que j'ai posé 100 fois aux comédiens en atelier. La construction avec un anti-héros MacGuffin court-circuite ce questionnement : public, ne vous focalisez pas la-dessus, l'essentiel est dans les détours ! L'histoire n'est donc plus construite selon le schéma classique de la journée du héros. Pas de seuil, pas d'apprentissage, pas de descente dans la caverne, ou alors uniquement à postériori. On peut en effet imaginer qu'au bout de plusieurs scènes sans réelle cohérence narrative, leur impact sur le héros (ce qu'il est, ce qu'il pense) dessine en filigrane un nouvel enjeu qui vient suppléer l'enjeu mineur initial.

Amis improvisateurs, je m'engage à expérimenter en 2016 une impro longue façon Les mariés du MacGuffin. Je ne manquerai pas alors de venir partager ce retour d'expérience. Si vous faites le test avant moi, merci de venir nous le raconter. Les commentaires sont là pour ça.

A.L. pour les Coyotes à l'Huile 

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Le MC de spectacle d'improvisation et la pédale magique !

La créativité de l'improvisateur étant par nature en Open Source, je partage ici une astuce technique à destination des troupes d'impro pauvres ou sous-staffées.

Oui il est facilement possible de faire à la fois le MC et le DJ sur un cabaret, voir sur un match (si vraiment vous êtes fauchés ou sous-staffés). Comment donc ?

1- Retrouvez votre carton avec vos affiches de Nirvana et ouvrez-le. Peut être y trouverez-vous au fond une pédale d'expression de guitare, vestige de l'époque où vous vous rêviez guitariste solo d'un groupe vraiment trop cool. Sinon, entrez dans un magasin de musique et achetez une pédale d'expression.

2- Branchez cette pédale entre votre source de musique (un téléphone, un ordinateur) et la diffusion de ce son (la table de mixage, ou directement l'ampli). Le tout à l'aide d'un jack.

Branchée ainsi, la pédale vous permet de contrôler simplement avec votre pied le volume du son que vous souhaitez diffuser : de 0 (aucun son) à normal.

3- Préparez-vous une super play-liste d'environ 3h de musique. Que du bon ! Paramétrez votre play-liste de façon à ce que les morceaux s'enchainent en fondu bien appuyé afin d'être sur de ne jamais avoir de blanc entre vos morceaux.

4- Lancez la play-liste !

5- Avec votre pied, vous pouvez donc depuis votre table de MC en match, depuis le devant de la scène en tant que MC de cabaret, ou dans une toute autre configuration non homologuée, décider à quelle moment il y a du son, et et à quel moment il n'y en a pas. La pédale sert de robinet à musique. Vous ouvrez la musique s'entend, vous fermez la musique est coupée.

Attention, dans cette configuration, vous ne contrôlez pas votre play-liste. Elle tourne en continu, vous choisissez juste les moments où vous souhaitez entendre ce qui est joué. Ce que vous entendez à ce moment là est donc aléatoire. D'où l'importance de faire une bonne play-liste, qui colle avec votre type de spectacle.
Vous bénéficiez par contre d'un contrôle assez fin du volume pour pouvoir moduler à loisir entre tout et rien. C'est extrêmement rapide à contrôler et très facile d'installation.

Bons spectacles de pauvre !

A.L. pour les Coyotes à l'Huile 

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La théorie des Cacahuètes par Fabien Velhmann

Fabien Velhmann est scénariste de BD. Et il le fait plutôt très bien. Les participants de l'édition 2014 des Grandes Improvisées à Nantes ont eu l'occasion de suivre sa "Master Class" sur l'imagination et l'écriture d'histoire.

Lors de cette rencontre avec la centaine d'improvisateur présents, il avait partagé sa théorie des cacahuètes, la voilà présentée ici sous forme d'un Pecha Kucha de 7 minutes sous le titre : The peanuts theory


C'est très bon, très simple et ne peut faire que du bien. (Et c'est en français !) 


A.L. pour les Coyotes à l'Huile

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SERIE DE PORTRAITS N° 1... GabriELLE Pichon


L'improvisation théâtrale, est une discipline née au Québec dans les années 70... Messieurs Gravel et Leduc, constatent que les salles de théâtre se vident alors que les stades de Hockey sur glace ne désemplissent pas…

Bon d'accord... on l'a tous entendu, cette histoire non ? Et en fait, pour mon premier papier 2.0, ce n'est pas là-dessus que j'ai envie d'écrire, enfin peut-être si, un peu... dans le sens où, l'improvisation, même si elle ne doit pas en rougir, ni s'en défendre, ne saurait se résumer qu'à ça...

...Au-delà du fait que je sois une bien mauvaise et inexpérimentée joueuse de match, je trouve que ce mouvement évolue fort, et certains de ses artistes, comédiens, formateurs, administrateurs de compagnie se battent pour ça. La discipline commence même à l'assumer… le revendiquer.
Et puis... ce n'est pas un peu agaçant finalement, qu'on ne cite toujours que les fondateur()s, les théoricien()s, et autres coach()s... sans jamais aucun E à la fin ?..

Le Parent pauvre du Théâtre aurait-il lui-même une Parente pauvre qui n'aurait presque pas voix au chapître?

Alors pour me planquer encore un peu, et parce qu'elle a bien des choses à raconter, j'ai le plaisir de donner d'abord la parole à Gabrielle Pichon, comédienne improvisatrice, et metteuse en scène brestoise.

Un premier portrait d'une série pour faire connaissance avec ces personnalités.
Enfin et tout comme, l'improvisation est une fin en soit et un processus, l'occasion d'aborder toute ces sujets à mon sens bien passionnants.

.FOCUS SUR PARCOURS:

Née en Bretagne en 1988, Gabrielle Pichon découvre le théâtre en le pratiquant comme un loisir et ce jusqu'au collège. Elle pousse ce qui devient une démarche et suit une option lourde Art dramatique au Lycée Joseph Savina. Elle intègre ensuite un conservatoire dans le Finistère. Après une pause, elle monte à nouveau sur les planches comme comédienne amateure.

En 2010, devenue raisonnable, elle arrive à Brest, et intervient comme assistante de production , au festival international d’improvisation théâtrale, Subito. Elle y fait une rencontre toute particulière et décisive avec une discipline artistique qu'elle connaît à peine... Quelques années plus tard , elle rejoint comme comédienne professionnelle, la compagnie Impro Infini.
Elle monte actuellement et en parallèle Poiscaille**, une création de théâtre dont elle signe le texte et la mise en scène.





INTERVIEW...

M P : Pourquoi après l'avoir laissé de côté, être revenue au plateau pour devenir professionnelle ?
Parce que tu en avais marre ou par peur de vivre la création par procuration en tant que médiatrice ?

G P : Il y a eu un peu de ça c'est clair et puis... je me suis dit 'pourquoi pas'? Je suis curieuse et aime rencontrer des nouvelles personnes, le métier de comédien nous y amène...

MP : La médiation aussi, non ?
Oui, c'est vrai... non tu as raison en fait, j'étais frustrée...

MP : Donne-nous définition de l'improvisation, 'la belle', la tienne, en une phrase ?
GP : Pour moi c'est 'L'art de tous les possibles maîtrisés'

MP : J'aime les images évidemment alors je te propose un petit portrait chinois  :

MP : Si l'impro était un animal ?
GP :Le serpent parce qu'il change de peau
MP : Un vêtement ?
GP : Justement pas de vêtement, on est à poil quand on improvise.
MP : Un plat/ aliment ?
GP : Le citron, parce que ça réveille, c'est acide, sucré, énergisant, plein de vitamines, rafraîchissant ça donne du frisson, ça pétille dans les mâchoires !
MP : Une partie du corps ?
GP : La peau, évidemment, encore une fois,

MP : C'est un plaisir épidermique alors pour toi l'improvisation ?

GP : Oui d'autant que quand on montre la peau, on montre les cicatrices, les imperfections, les tâches, les poils, on montre ce que peut-être d'habitude, on veut cacher par les vêtements. En impro , quand on lâche prise, et qu'on décide d' aller réellement au fond on est vraiment tout nu.

MP : Tiens ça me rappelle le bien joli visuel de l'édition Subito 2014...

MP : Quel est le spectacle, le comédien, la personne qui t'as convertie, ou ton 1er choc esthétique ?
GP : C'est plutôt quelqu'un en fait , Sébastien Chambres , je vais passer pour une groupie, tant pis. Le premier spectacle d'impro que j'ai vu s’appelait 'Pozz', j'étais submergée par ce mec qui prenait toute la place sans non plus se l'accaparer, précis dans son geste, dans sa voix. C'était mon premier spectacle, j'étais en stage, et je me suis dit 'C'est quoi ce truc ?' Je suis allée le voir et je lui ai demandé ' Mais...c'est vraiment improvisé ?'
Ce qui m'a marqué, c'est le fait qu'il dégageait des choses qui venaient exclusivement de lui et pas d'un texte écrit par quelqu'un d'autre. Il y avait sur scène, un auteur, un metteur en scène et comédien dans un instant précis. Après ... c'était parti...


MP : Question clichée... l'Impro : processus ou fin en soit ?
GP :Ce n'est pas, ni les deux, ni l'un ni l'autre, je dirai en fait que l'un n'empêche pas l'autre. En fait ça dépend du projet, du format, de la sensibilité artistique de celui ou celle qui le fait, ça dépend si on parle création ou divertissement ;

MP : Au delà DU CONSTAT as-tu un point de vue là-dessus ?
GP : En tant que créatrice improvisatrice, ce qui m'intéresserait, c'est utiliser l'improvisation. En fait, j'ai envie de pouvoir faire du spectacle sans que cela soit marqué que c'est de l 'improvisation... C'est utiliser cette technique, cette sensibilité mais sans en faire un label, la où parfois le mot impro est utilisé pour rassurer les gens : en disant vous allez vous marrer, et juste passer du bon temps... Même si j'adore ça en tant que spectatrice, que ça fait du bien mais pour moi, l'impro ne doit pas/ ne peut pas être qu'un divertissement,

MP : Quel format préfères-tu actuellement ?
GP :J'AIME LES FORMES LONGUES, les huis clos, j'ai travaillé d'ailleurs sur un quatuor récemment et avec Sébastien Chambre, sur un duo. En fait, ce qui me plaît, c'est de travailler sur l'intimité, l'exploration des relations, les connexions entre les personnes.

MP : Quel plaisir trouves-tu sur le plateau comme spectatrice et en tant que comédienne que tu ne trouves pas avec du théâtre écrit ?
GP : La spontanéité ; En tant qu'improvisatrice, quand tu assistes à un spectacle, tu te rends compte de ce qui sort, de la magie. Je pense qu'on ne peut pas retrouver la même chose dans ce qui a été écrit pendant des mois, répété mis en scène, chorégraphié. Je trouve par contre aussi, qu'en spectacle d'impro, tu te dis que parfois, il suffirait de rajouter un petit quelque chose d'écriture pour que cela soit plus recherché. Mais justement, ce que j'aime, c'est que cela soit sur le fil, et puis ce que j'apprécie particulièrement en tant que spectatrice, c'est voir un comédien qui s'étonne lui même.

MP : Qu'est ce qui te manque par rapport au théâtre écrit ?
GP : La façon dont on travaille, je trouve qu'on prend moins le temps de créer, de réfléchir, il me manque peut être ce temps d'intensité de la salle fermée dans laquelle on prépare, on creuse, on approfondit... Et aussi le fait d 'être dirigé au service d'un auteur extérieur, au service d'une dramaturgie. Je sais que cela se fait ailleurs, à Rennes par exemple (rires).
Ceci dit, avec 'Tous des connards' et 'Avec des Si' on commence à le faire oui...

MP : Qu'est ce qui te fait peur dans ta pratique ?
GP : Je n'ai plus la terreur du début avant de monter sur scène mais c'est la routine et le non renouvellement qui m'angoisse, ne plus réussir à raconter de nouvelles choses. D'être allée au fond de ce que j'étais capable de proposer.

MP : Qu'est ce que tu rejettes ?
GP :Les stéréotypes, les clichés, et autres blagues faciles, même si j'aime le potache...

MP : Qu'est ce qui te ferait arrêter ?
GP : Je me vois pas arrêter, même si j'ai d'autres envies et autres projets à mener en parallèle. Enfin si, j'arrêterai si il n'y a plus personne avec qui je prends plaisir à jouer...
MP : Qu'est ce qui t’exaspère dans la pratique ?
GP : J'aimerai ne pas me sentir obligée de toujours expliquer aux gens, quand je dis que je fais de l'improvisation théâtrale, qu'il n'y a pas que le match (qui serait lui même le parent pauvre de l'improvisation qui est elle même le parent pauvre du théâtre). Même si j'aime le match (alors que j'en ai jamais joué), on réduit trop souvent l'improvisation théâtrale à cette seule discipline.

MP : J'ai lu que tu avais écrit dans une interview, 'l'improvisation est une pratique beaucoup plus riche que ce qu'on pense', en quel sens, pourquoi et qui pense ça ?

GP : Souvent comme je disais, pour les théâtreux ou gens de la culture, l'impro se résume au match ou au catch alors qu'il y a plein d'autres formes !

MP : Es-tu une militante de la discipline ?
L'Histoire nous le dira !  (rires)

MP : Tu dis aussi dans cette même interview que 'les codes changent'. De quelle façon ? Est-ce une bonne chose ?
GP : J'ai le sentiment que l'on commence à voir l'exigence, un travail, une recherche personnel constante, et on en vient à estimer qu'un improvisateur doit se nourrir de plein d'autre Matière artistique.

MP : Quel est pour toi l'enjeu de faire jouer des spectacles dont le texte n'est pas figé dans des lieux conventionnés ?
Est ce que cela ne va pas formater la pratique autrement ?
Je ne sais pas, mais je crois que cela arrive d'une autre façon avec ce qui est actuellement hyper à la mode « l'écriture au plateau » ;
Je lisais un article sur la participation des habitants au spectacle et que cela arrivait dans les scènes nationales, j'y vois une variation de l'improvisation. En fait, on dit que le public fuirait les scènes nationales et serait friand de la participation des populations au spectacle, des formes improvisées et spontanées, peut être c'est pour ça et de cette façon-là que l'improvisation va y entrer.
Mon petit rêve intérieur c'est de jouer à celle de Brest, au Quartz...

MP : … Un message à faire passer peut -être ? (sourire)

MP : En quoi cette discipline influence-t-elle ta pratique de metteuse en scène ?
Tu utilises l'impro dans tes créations, comment t'y prends-tu, qu'est-ce que cela apporte à la création, aux comédiens ?
G P : Je travaille actuellement sur un spectacle écrit qui s'appelle 'Poiscaille'**
Je ne connaissais pas les comédiennes alors, le fait de les faire jouer en impro m'a raconté quelque chose d'elles, cela m'a permis de comprendre comment j'allais utiliser leur matière pour qu'on se donne mutuellement à voir. Cela m'a servi de base pour écrire le texte, C'est pour moi en fait une jolie manière d'entrer dans le processus...

MP : Qu'est ce que ça donne d'improviser en terme de jeu ?
Énormément de sincérité,
Ce qui m'intéressait dans 'Poiscaille', c'était la justesse, la parole nue, le non surjeu.

MP : Question subsidiaire, je sais que tu es sensible à la question féminine dans son ensemble; Penses-tu qu'il soit complexe de jouer en improvisation en tant que femme, pour quelles raisons ?
... Un antidote, un secret beauté pour y remédier ?..
G P :Tout dépend comment on est éveillé à la question, aujourd'hui, si je ne me sens pas illégitime à jouer là où je joue, c'est parce que je suis féministe. Pour moi, il faut que les femmes en particulier ne s'excusent jamais d'être sur scène. On parle de la place de la femme improvisatrice sur le plateau mais c'est comme la place de la femme dans la société, si on nous la donne pas, il faut aller la chercher, voir aller l'arracher. Après ça dépend aussi de qui tu as en face de toi... Y a des connards aussi. Mais c'est pour moi, aux femmes de se bouger un peu et de se dire, 'Merde j'y vais'.

MP : C'est donc de la responsabilité de la comédienne ?
GP :Oui complètement, et c'est par la connaissance et cette prise de conscience que les femmes pourront y arriver.
Merci Gabrielle, à bientôt
et comme dirait quelqu'un qui t'est cher, 'N'oublie pas de rester formidable'.

** Poiscaille, Compagnie Le Courant d'Air. Année 2015.
J’habite ce corps depuis 30 ans. Mon corps est un pays. Si mon corps pouvait parler... Qu’aurait-il à dire ?”
Poiscaille part de l’envie de travailler sur le corps. D’aller chercher la chair et de dépecer l’enveloppe qui nous habille. Raconter l’histoire d’un corps et à travers celui-ci, sa propre histoire'.

Prochain portrait : Louise Bataillon, Compagnie du Dernier Etage et son travail sur la pièce Etude d'un premier amour.


Marie P. pour Impro Bretagne.

Moi au milieu de "2"

Depuis les débuts d'Impro-Bretagne, j'aime parler de ce que les autres font. Pour la première fois, fait étrange, j'ai envie de raconter le dernier spectacle que j'ai eu la chance de jouer : "2".

"2", est un spectacle très simple sur le papier. L'idée m'est venue en allant assister à un concert de musique improvisée. A la fin du concert, l'un des 2 musiciens me révélait, qu'ils n'avaient absolument rien préparé... Pas de point de départ, de registre, de concept, simplement une écriture motivée par la relation de ce duo, l'écoute et l'envie de se surprendre, de réécrire un nouveau langage musical, propre à eux seuls et ouvert à un public.

C'est évidemment plein d'excitation que j'allais trouver Julien Gigault, pour tenter d'adapter ce "concept" à l'impro. Nous sommes assez vite tombés d'accord sur ce que nous souhaitions faire : jouer simple, avec ce qui est (Lui, moi, table, chaises, eau, pendule, public), pendant 60 minutes... Et surtout, rien d'autre, par peur de perdre cette précieuse excitation qui nous habitait. C'est drôle qu'en 20 ans d'impro, je n'ai jamais osé faire ça avant... Je pense que les rencontres et les envies sont toujours liées à un moment précis. Sur le papier, encore une fois rien de bien effrayant. Juste l'envie d'en faire un moment exceptionnel.

Et c'est parti ! 

Drôle de moment que ce spectacle construit sur la peur de deux comédiens chevronnés, et sur le refus. Sur les 60 minutes, j'ai savamment passé 20 minutes à refuser d'avancer. Je m'accrochais désespérément à ce moment magique ou tout était encore possible, par peur d'être déçu par notre prestation, qu'elle ne soit pas au niveau de nos attentes respectives.  Car ce qui s'est dessiné, n'est pas un bal de virtuosité. Nous avons découvert ensemble, que ce soir là, il nous était impossible de partir sur une belle histoire, bien construite, ou des impros courtes, variées comme on les aime. Non, ce soir là, nous avions décidé d'être ailleurs, nous jouions du free jazz...

Cela commence par des négociations entre 2 improvisateurs... Un table, deux chaises, une bouteille d'eau, et un radio réveil lancé à la fin de la présentation du spectacle :

- Tu as commencé à jouer là ?
- Non je n'ai pas allumé le réveil.
- Pourtant tu joues...
- Oui mais ça ne compte pas, je n'ai pas allumé le réveil...
- Mais moi je joue, alors que le réveil n'est pas allumé ! J'arrête, je commencerai à jouer quand le réveil indiquera 5 minutes de passées... 
- T'es pas capable...
- SI !

Il allume le réveil... A une minute passée...

- Je suis une merde, je n'ai pas réussi à tenir jusqu'à 5...
- Je te l'avais dit...

Voilà sur quoi nous étions partis. Moi accroché à la peur de rater ce magnifique rendez-vous, attendant un bus, que j'avais peur de prendre car je ne savais pas où il irait. Nous étions au milieu d'une tragédie annoncée, où le temps qui passe, minute après minute, serait notre fil conducteur, notre promesse dramatique, permettant de prophétiser des évènements qui arriveraient, ou pas... Un spectacle obsessionnel passant son "temps" à se citer lui même, et laissant ses auteurs donner libre cours à leurs désirs, leurs angoisses, leur amitié... reprenant même à notre compte certains standards que nous condamnons en impro, pour les mettre en abîme : mouettes, robots, zombies...  racontant que par le passé, j'aimais jouer Jésus sur sa croix, et me visser moi même avec une visseuse électrique...  Julien se clouait au mur, et nous reprenions un instant ces gestes cabotins, enfouis du passé pour en faire autre chose... Entre hyper conscience de ce qui se joue, et lâcher prise.

Pendant 20 minutes nous avons tendus la situation, restant chacun sur nos positions, pour les confronter, et ne pas se précipiter dans la facilité... Une chute vertigineuse et angoissante... Sublime pour moi... J'ai eu des retours disant que j'étais rude, ou en manque d'écoute... Vraiment je ne crois pas :-) Je tenais. Je ne VOULAIS pas que ce spectacle ne soit pas fidèle à nos promesses. Rude ? Nous l'étions ensembles, à attendre le bon moment, embusqués. Pourquoi lui ou moi aurions cédé ? Car c'était exactement ce qui se jouait, et le danger de ce OUI, qui nous aurait desservi. Le public était un public en grande partie d'improvisateurs, parfois perdus, parfois applaudissant les punchs ou les exploits, tels des solos de jazz. Nous avons joué avec lui, mais pas pour lui. Nous n'avons pas cherché à nous rassurer. 

20 minutes plus tard...

Et au bout de 20 minutes, sûrs de nos acquis, nous avons lâché et nous nous sommes trouvés. Ce n'est pas que cela ramait au début. Je n'ai jamais eu l'impression d'être perdu. Nous n'étions juste pas encore 2 mais plutôt 1+1. Et puis le petit miracle que nous attendions, que nous guettions, un tourbillon de 35 minutes, allant du récit intime, à l'attaque de zombies, et ceci toujours sans justifier, juste surfer sur cette vague de plaisir, une fois la peur passée et le serment tenu. Nous avons passé notre temps à ouvrir des portes, que nous avons refermées, une à une à la fin du spectacle. Nous avons continué notre quête, notre lutte. Nous avons été fidèles et courageux.

Nous avions tous deux une vision globale du spectacle. Sans savoir où nous allions, nous avons combiné et utilisé tous les éléments joués. Ce qui était dit, et le registre dans lequel c'était joué. Cela a donné une écriture très théâtrale, toujours sur deux niveaux : ce qui est joué, et ce qui est vécu par les comédiens le jouant... enivrant.

Puis arrive la fin. la dernière minute. Une promesse dramatique. Celle d'un baiser entre nous deux. Une promesse faite à plusieurs reprises. Et Julien, dans un dernier refus magnifique, sortait à la 59ème minute chargé d'une belle émotion, me laissant "seul" avec ce baisé. Nous commencions par un refus, et nous finissions par lui aussi, laissant le public avec sa frustration. C'était la meilleur fin possible.

Nous avons, Julien et moi traversé ce spectacle comme des cascadeurs. Le vrai risque de ce spectacle aurait été de faire ce que nous savions faire et trahir ce rendez-vous. Certaines personnes du public étaient enthousiastes et touchées par la démarche, d'autres mitigées, et enfin d'autres plus circonspects... En tout cas, tout le monde était conscient d'avoir assisté à un moment à part... Je ne sais pas si c'est un spectacle ou une performance, en tout cas c'était une expérience unique. Je ne sais pas non plus vraiment si nous étions en état de grâce ou en travail... en tout cas je veux vivre un autre "2".

Christophe Le Cheviller
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