Impro-Bretagne
'IMPROV
IS NOT DEAD'
Octobre
2016, Théâtre Le Comedia, (Paris-la-capitale).
Au sortir du
lancement du Trophée Culture et Diversité, je m'étais jurée
d'écrire un papier sur Jacques Livchine et Hervée De Lafond,
créateurs du Théâtre de l'Unité, grands-parents de
l'improvisation théâtrale et figures incontournables du théâtre
de rue en France...
Midinette
comme je suis, inféodée au talent, j'avais été frappée par la
foudre, à l'instant même où ils s'étaient adressés à
l'assemblée de coachs, pour témoigner de leur expérience de
comédiens, artistes militants, de directeurs de Théâtre et de
Compagnie ;
Deux
personnalités charismatiques, aussi libres qu'irrévérencieuses ;
Des septuagénaires, arrogants comme à 20 ans et si humbles de par
leur capacité à tenir l'exigence, à travailler sans relâche, à
inventer encore.
Un
non-couple intimement lié qui, dans le même entretien prétend
avoir tout prédit de la société ... autant qu'il rit, se
remémorant les échecs essuyés au cours de ses faits d'armes.
Retranscription
non exhaustive mais presque objective d'une intense heure d'entretien
où il est question du Match et de Kapouchnik, d'arts, de culture et
de politique ; de voyous- voyeurs-voyants, de douane polonaise
comme de pompier de Saint Quentin en Yvelines, d' Anton Tchekhov, de
Patrick Sébastien et de Pierre Moscovici.
Marie
Parent: C'est bien vous qui avez activement été à l'origine des
matchs d'improvisation en France : ça s'est passé comment au
juste ?
Hervée
De Lafond et Jacques Livchine :
Oui,
aux origines en 1981, Leduc et Gravel de la Ligue de Montréal sont
venus à Aubervilliers et ont demandé à rencontrer les comédiens
français.
Aubervilliers
a demandé à plusieurs compagnies dont le Théâtre de l'Unité
et on est venu à 3/4 , En 1 journée, on a fait un premier
match... Emballés, ils ont émis le souhait qu'il y ait une ligue
d'impro à Paris. On a fait des tas de répétition au théâtre
d'Aubervilliers et puis 1 ou 2 matchs ;. Près de 100 comédiens sont
passés à Aubervilliers pour répéter.
Peu
à peu, au bout de 6 mois d'entraînement tous les lundis, (un
endroit formidable de travail parce qu'on faisait connaissance avec
plein de comédiens), on a dit qu'on était prêt à organiser un
match et on a fondé la LIF (Ligue française d'improvisation) dont
Jacques a été le premier président. On a commencé à vendre des
matchs à des villes, On s'est fabriqué une patinoire au début, on
n'était pas payé du tout, on investissait... Et on a commencé à
créer des matchs un peu partout. On étaient très mauvais
d'ailleurs … très mauvais, mais c'était très emballant...
Marie
Parent: Qu'y avait-il de si emballant, en quoi était-ce différent
et nouveau ?
Hervée
De Lafond : Le mélange formel sport et théâtre était
passionnant, les contraintes qui étaient données ne nous
enfermaient pas, bien au contraire mais étaient dures à intégrer
dans notre esprit français. Ça a été long avant qu'on les
intègre ! Ce qu'il y avait d'amusant c'est que les comédiens
qui avaient fait de grandes écoles de théâtre, des gens qui
sortaient du conservatoire en particulier, étaient absolument à
chier …
Jacques
Livchine : L'improvisation exige des qualités orales et
physiques et de lâcher prise que n’avaient pas tous ces comédiens
et ça on adorait ! En fait, les québecois nous ont appris
cette spontanéité alors que les comédiens classiques avaient
énormément de mal à sortir de leur cadre.
HD :
Ceux qui surnageaient (comme nous) avaient l'habitude de faire de la
rue ou du hors les murs s'en sortaient beaucoup mieux !
J
L : Nous allions sur des sentiers que l'on ne connaissait
pas, la manière américaine...
Ce
qui nous fascinait c'était la décontraction avec laquelle les
comédiens québecois jouaient, leur calme... Les québecois,
jouaient quasiment en mâchant du chewing gum. Nous avons beaucoup
appris quand nous sommes allés jouer au Québec sur leur terres
Et
puis...
L'égo
mal placé était ramené à sa juste place en fait, les godasses ou
chaussons balancés remettaient les compteurs à zéro.
Enfin,
c'était l'occasion incroyable surtout d'un grand rassemblement de
comédiens et de rencontres multipliées.
Bref...
Arès
un grand écrémage, on s'est retrouvé une vingtaine à Créteil et
là grand stage de 2 jours : on tournait comme coachs sur les
ateliers et ce qu'on adorait c'était qu'on s'auto-éduquait !
Et là, quelques personnalités au dessus du lot se révèlent et
deviennent indispensable : Eric Métayer, Michel Lopez... on a
été rejoint aussi par Rufus...
La
gouvernance était formidable, dans les réunions pour faire la
sélection, il n' y avait pas de chef, des prises de becs
incroyables, on votait ensuite à bulletin secret. Il y avait aussi
des questions de savoirs être qui comptaient beaucoup en fait.
Pour
anecdote : une comédienne qui se plaignait de ne pas avoir été
retenue alors qu'elle se disait 'bonne' s’était vue rétorquer par
Hervée « oui tu es bonne mais tu es chiante »... c'était
l'apprentissage du collectif absolument génial !.
H
D : On adorait la dimension COLLECTIVE, relations
intér-équipes et intertroupes !Le mélange nous intéressait
beaucoup ;
MP :
Et alors, comment êtes-vous arrivés au Bataclan ?
J
L : Lorsqu'il a fallu chercher des salles pour faire
connaître les matchs, on a prospecté et avec beaucoup
d’enthousiasme, le directeur du Bataclan, nous a accueilli à bras
ouvert, et nous a mis à disposition sa salle gratuitement, tous les
lundis.
Tout
de suit c'est devenu un rdv parisien incontournable fréquenté par
les profs les médecins, les bobos de l'époque...
H
D : Ce qui créaient l'engouement aussi c'est qu'il y avait
des vedettes françaises et américaines qui venaient à chaque rdv
et qui parrainaient les équipes, il y avait Bedos, Métayer,
Jolivet... Eux-même invitaient leurs amis...
C'étaient
une ambiance incroyable, tout le monde clopait, il y avait même une
crêpière !
Et
puis dans la patinoire d'autres vedettes jouaient (Miou Miou, Genest,
Moustaki, Charlebois) On avait les médias, des musiciens, c'était
un spectacle total !
Ce
qui était impressionnant, c'est à quel point cet échec sur la
patinoire, impossible à éviter sur des impros- était difficile
pour les comédiens reconnus...
C'était
très dur pour eux, peu persistaient..
Tout
le monde était traité à égalité, c'était intéressant, c'était
ça le propos !!
Le
Bataclan c'était l'âge d'or pour nous ! Puis il y a eu le
cirque d'hiver... C était trop grand mais ça a marché d'enfer
quand même,
Au
bout de 10 ans on s'est mis à tourner en rond, des démarrages
d'improvisation toujours identiques toujours les même personnages,
les mêmes histoires et les mêmes réactions du public...
M
P : C'est là, c'est pour cette raison que l'aventure match
s'est arrêtée pour vous?
H
D : Oui on a été nommé directeurs de la scène nationale
de Montbéliard, on a juste fait 2/3 matchs la bas et puis on a
arrêté, plus de réservoir de comédiens et puis franchement on
était lassé vraiment..
Ah
si ! Faut quand même le dire, entre temps il y a quand même eu
les mondiaux , là ça relançait l'excitation, il fallait parler
d'autres langues, découvrir d'autre cultures, d'autres façon de
jouer !
M
P : Qu'avez vous gardé du match ?
J
L : Mmmm, les produits dérivés, les impostures notamment.
On était demandé par les boîtes privés, on n'aimait pas
beaucoup...
Mais
en fait et surtout... on a décidé de politiser le match d'impro !
Et
en 2003, on a créé le Kapouchnik.
M
P : Le Kapouchnik est un comme un cousin éloigné du match
d'impro, c'est bien ça ?
H
D : Oui...
Un
spectacle d'improvisation avec des mélanges de comédiens qu'on ne
connaît pas, des règles, des rites, rituels, toujours les mêmes
(hymne, musique...), la similitude et ce qui nous plaît beaucoup,
c'est que le public n'a pas l'impression de voir du théâtre, il est
excité comme à un match de foot, il règne une ferveur incroyable !
Et les comédiens sont en permanence sur le fil de l'échec. Il y a
toujours aussi la question de l'attachement au comédien qu'on a avec
les match et qui nous plaît !
J
L : Mais avec le Kapouchnik, on a décidé de sortir du
divertissement. Avec le match, les rires devenaient toxiques, et les
comédiens se forçaient à faire des vannes, la gaudriole devenait
l'ennemi (les français ont malheureusement tous une case Bigard...
c'est le problème du off à Avignon d'ailleurs)
Avec
le Kapouchnik, on a aussi rencontré ce problème au début ;
Mais pour contrer ça on a décidé d'imposer des sujets, dans notre
préparation ,
H
D : Alors ici les comédiens peuvent reprendre un certain
pouvoir sur le public et finalement le public accepte et adore.
M
P : Comment fait-on un spectacle politique, qu'est ce qui
garantit son inscription dans le réel ?
On
y traite des sujets politiques et d'actualités comme la montée du
front national, les migrants, le Tsunami, les casques blancs
d'Alep...
Après
dans le K, il y a toujours un ou deux sujets archis bouffons !
Pour
garantir aussi l'inscription du Kapouchnik dans le réel, on a
imaginé et intégré dans le spectacle en ouverture, une petite
scène ou chaque comédien raconte quelque chose de personnel,
d'important voir de grave (Jacques a raconté l’enterrement de sa
mère, une autre comédienne à évoqué son avortement...)
Enfin,
quand on parle d'une personnalité- y compris locale- on tâche de la
faire vraiment exister sur scène et on la ridiculise comme les
autres. Notre maire ou Pierre Moscovici de notre région n'y ont pas
échappé !
M
P Et ça marche ? Quel succès cela rencontre-t-il auprès
du public?
H
D : Énorme ! Le public, très populaire cette fois
contrairement à Paris, se déplace en masse. Surtout en période
électorale ! Toute notre vie nous avons espéré ce type et
fréquentation de public, c'est un miracle et c'est magnifique.
Tous
les mois 400 personnes se déplacent en une matinée, on remplit les
réservations !
Nul
bonheur n'étant parfait, ce public ne vient pas encore voir nos
pièces de Répertoire... C'est chiant mais c'est comme ça.
Nous
sommes très fiers, le Kapouchnik est subversif, le match n'est plus
que divertissement, des fois les gens viennent nous engueuler à la
fin ! C'est indispensable !
M
P : Ca fait 13 ans le Kapouchnik et là... vous ne vous lassez
toujours pas ?
H
D : Non on est souvent terrorisé mais il y a toujours à
raconter ! En tous cas, notre règle c'est que le plaisir soit
toujours plus important que notre peur et pour l'instant, c'est
absolument le cas !
M
P : Vous travaillez depuis presque 50 ans, sur une multitude
d'autres formes théâtrales et notamment sur des pièces de
Répertoire, des performances, des installations ...
Quelle
part à l'improvisation dans votre recherche et production ?
H
D : On a souvent travaillé sur des impros longues ex. La
nuit unique à Calais(7 h). En fait tous nos spectacles de rue sont
de longues impro à canevas, la 2 CV, spectacle majeur dans notre
parcours était grandement improvisé !
J
L :C'est paradoxalement l'impro qui nous a amené au texte,
on en avait marre du langage oral à l'Unité, alors nous nous sommes
mis à travailler du Tchekhov, on se desséchait... On s'est dit
qu'il fallait se ressourcer avec du texte.
M
P : En parlant de texte, je me suis amusée à reprendre
certaines de vos citations en les transformant en questions, une
façon de les comprendre plus profondément et de vous connaître
davantage...
Alors
...
M
P : Êtes-vous « Plus voyant plus voyous plus
voyeurs » ?
J
L : On est les 3, c'est ça le truc!
Hervée,
c'est elle la voyou, elle rue dans les brancards ,
elle tape les flics, une fois on a quitté la Pologne en catastrophe,
par une douane de secours, parce qu'on était poursuivi, elle avait
frappé la milice pour rire ça n'avait plu...Et puis il y a eu
tellement d'autres aventures...
Voyeur
parce que on passe notre temps à regarder les gens vivre et à les
analyser et c'est que qui nourrit notre théâtre.
Voyant,
parce que je ne veux pas nous vanter, n'empêche tout ce qui passe en
France on l'a vu venir et on l'a joué (Montée du FN...)
M
P : Pourquoi faut il « aller là où il y a du désert »?
J
L : Parce que c'était notre mot d'ordre dès le début, si
on faisait ce que tout le monde faisait, on allait pas être les
meilleurs, Quand on a commencé le théâtre de rue, on était tout
seul, le Kapouchnik, on est tout seul en France, on tient beaucoup à
faire naître des choses nouvelles, on a, par exemple, fait un
spectacle de 13 jours et 13 nuits, un Macbeth en forêt au flambeau …
un bordel dans un Hôtel, une spectacle pour démocratiser la
tragédie grecque à l'adresse des chiens...
M
P : Hervée, qu'entends-tu par " c'est la haine des
vies gâchées qui nous tient en éveil "?
H
D C'est ce qui me bouleverse tout le temps, c'est qu'on est
entouré surtout ici à Audincourt d'une flopée de vie gâchées et
on veut au moins dire en théâtre pourquoi il y a des vies
gâchées... et essayer de donner au public les armes de l'esprit...
M
P : Mais... c'est quoi au juste une vie gâchée ?
H
D : Oh il y a plein de façons, c'est ceux qui ne réalisent rien
leur rêves, qui ratent leur vie affective, professionnelle, tous ces
jeunes que l'on rencontre, ceux qui ne lisent pas, n'écoutent pas de
musique, ne lisent aucun poème... on est des pompiers en quelque
sorte. Mais attention, on ne veut jamais faire la morale, attention
jamais! Notamment avec les jeunes sortis de prisons et que l'on
accueillait, dans nos chantiers d'insertion scénographiques... Je me
rappelle de ce chef pompier à Saint Quentin en Yvelines, qui avait
dit lors d'une réunion avec les acteurs sociaux et culturels locaux,
« Il faut donner de l'argent public au théâtre de l'Unité
parce que si nous, on ramasse les jeunes qui se suicident , eux,
les en empêchent parfois » …
J
L : Nous, on veut faire du populaire classieux, notre ennemi
numéro 1 c'est Patrick Sébastien, même si le gars est hyper
généreux et que je l'aime pourtant beaucoup, mais il faut tout de
même faire monter l'âme d'un petit centimètre...
H
D : Par exemple
dans les Kapouchniks, on prend des styles, des grands créateurs, des
auteurs ( Claude Regy, Bob Wilson, Pina Bausch récemment) -sans
prévenir notre public d'Audincourt- qui fuirait sinon et on traite
nos impros à leur manière (comme dans l'idée du match mais
vraiment cette fois) !
Enfin...
M
P : Pourquoi « Si on invente rien, nous dévorez-vous ? »
J
L : Il y a quantité de gens qui meurent de ne s'être
jamais renouveler, c'est le théâtre vieux...
Pour
nous on n'a pas le droit de reproduire ce qu'on a déjà fait, c'est
très dur, c'est un 'pétard dans le cul' parce qu'on est toujours
obligé de trouver autre chose... ça nous arrive bien entendu, mais
ce n'est pas plaisant... Le Théâtre du Soleil lui invente
toujours... On essaie de faire changer le public de chemins, la seule
façon d'y arriver c'est de procurer des émotions. Toi, t'as vécu
une émotion au théâtre qui t' a fait bouger sûrement ? Le
théâtre a le devoir de faire bouger voilà tout. »
...
Voilà tout... Quand l'intransigeance et la rage de créer ont
l'élégance de durer toute une vie...
Marie P. pour Impro Bretagne, le 17/01/2017