Jean-Philippe dit “Pablo le Zèbre” ne s’attendait pas, ce samedi 25 novembre, à vivre l’un des pires moments de sa carrière d’arbitre de match d’impro. Il faut dire que dernièrement, il manquait d’occasions de “gazouter” comme il aime à dire, les membres de son équipe “Les Inter Drilles” de Sarlat, préférant maintenant les formes longues.
Il fut alors très heureux d’être invité par la compagnie “Vaut-6-Fers” basée à Montreuil pour arbitrer le spectacle <Match>. Malheureusement ce moment laissera en lui, au sens propre comme au figuré, un arrière goût d’eau de boudin. Témoignage :
Impro Bretagne : Qu’est-ce qui était annoncé ce 25 novembre ?
Pablo Le Zèbre : Un match entre les “Vaut-6-Fers” et le collectif “No Victus”. Deux fois 45 minutes dans le petit théâtre Bertho de Montreuil.
IB : Rien ne vous a donc mis la puce à l’oreille ?
PLZ : Non rien, vraiment, mis à part l’horaire : 22h15. Je me suis dit que ça devait être comme ça dans les salles parisiennes. C’est en voyant arriver les joueurs dans leurs costumes de scènes que j’ai eu un doute. En fait, ils ne se sont jamais changés. Quand j’ai essayé de leur demander pourquoi, plusieurs m’ont ri au nez. Je suis sorti fumer une clope et j’ai discuté avec une spectatrice. Elle m’a demandé si c’était mon premier <Match>. “Non pas vraiment, pourquoi cette question ?” je lui ai fait. Et là, elle m’a expliqué en quoi ce match était différent et j’ai dû me concentrer pour comprendre sa réponse. En gros, le spectacle de la soirée était inclus dans le “ cursus des tentatives”, il clôturait les ateliers du “syndrôme du réel”. Apparement tous les spectateurs se connaissait puisqu'ils venaient de passer une semaine de stage ensemble. Je me suis dit.... "pourquoi pas, l’ambiance risque d’être sympa" et je suis retourné en coulisses me changer.
IB : Et là : grosse frayeur !
PLZ : Ah oui et comment ! J’entre en coulisses, il y avait déjà une dizaine de personnes présentes, installées sur des bancs. Je les salue, demande qui est le MC, les musiciens et les assistants arbitre mais personne ne répond, alors j’insistes et quelqu'un me lance : “Mets-toi en tenue, ça les fera venir” Bon OK ! je trouve une chaise, me mets dans un coin, enlève mon fute et pile à ce moment-là, le paravent qui me séparait de la scène tombe. Je me retrouve en plein dans la lumière alors que les premières notes de “Dangerous” des “XX” retentit. Je crie aux techniciens “Attendez là, je ne suis pas du tout prêt”. Mais la musique continue de plus belle et les gens se marrent.
IB : Parce que les spectateurs étaient déjà sur place ?
PLZ : Oui, enfin pas tous car ce n’est que plus tard que j’ai compris à quoi servaient les coups de cornes de brume.
IB : Comment ça les coups de cornes de brumes ?
PLZ : Régulièrement, au cours de cette soirée, une corne de brume retentissait et les spectateurs changeaient de place pour mettre totalement à mal la convention du 4ème Mur. C’est ce que m’a expliqué Sylvie, la spectatrice avec qui j’ai fumé une clope.
IB : (...)
PLZ : Enfin bon, je remets mon pantalon mais quelqu’un avec un micro en voix-off annonce : “L’arbitre est sans fondement. Qui prétend détenir la vérité ?” Quelque part je suis rassuré, je me dis qu’il y a au moins un MC dans ce spectacle. Alors j’essaie de sortir de la lumière pour être moins ébloui mais quelqu’un me prend par la main et j’entends une sorte de chanteuse lyrique qui scande “Connexion, Connnnneccccccxxxxxioooonnn” ! Coup de corne de brume, les dix spectateurs sur le banc se lèvent et - ni une, ni deux - ils m’enlèvent mon fute, me barbouille le visage de glaise et me prennent comme ça au dessus d’eux. C’est sympa, je me sens flotter mais j’ai un peu froid, vu qu’ils m'emmènent dehors pour me déposer sur le trottoir au milieu d’un cercle d’autres spectateurs. Là, je retrouve enfin les joueurs qui ne m’ont pas attendu pour improviser. Je n’ose pas les interrompre tellement ils sont investis dans leurs rôles et puis Sylvie venait de m’expliquer qu’ils jouaient pour sublimer notre rapport quotidien à la compétitivité... Je demande quand même un gazou au cas-où il y aurait des fautes, j’ai beau faire quelques signes d’arbitrage pour faire passer le message mais personne n’a l’air de comprendre ce que je demande. Alors sagement, en sweat et en caleçon, j’écoute. Jusqu'à ce que la situation soit interrompue par un jeune homme en costume au milieu des spectateurs, avec un micro, sans doute le MC. Avec son air de Guy Marchand, il jappe comme un chiot en désignant du doigt une piscine gonflable jaune remplie de liquide brunâtre dans laquelle je reconnais mes thèmes qui flottent.
IB : Vous leur aviez laissé vos thèmes ?!
PLZ : Non, mais ils ont du me les prendre à un moment. Donc l’aboyeur pointe du doigt la piscine et l’une des comédiennes plonge sa main dans cet épais liquide pour tirer un carton, alors que ce rôle me revient normalement, mais bon… Elle crache littéralement le thème qui était : “Stop à Angkor”, un beau thème en plus ! Je n’ai pas compris la suite, quelqu’un a lu un texte mais de dos, les spectateurs ont chanté une chanson mièvre dans le style des “Poppies”. Puis ils se sont montés dessus pour faire une pyramide, sans doute en rapport avec Angkor, tandis que deux autres s'enlaçaient alors qu’un troisième les enroulait dans du cellophane, on aurait dit un gros rouleau printemps vivant. (Rires)
IB : Oui enfin vous rigolez maintenant mais sur le moment vous faisiez moins le fier.
PLZ : Oui, c’est vrai surtout lorsque la corne de brune a retenti une nouvelle fois. A ce moment, quatre grands gaillards m’ont poussé dans la piscine, bon heureusement elle était un peu tiède, elle était surtout remplie de détritus et de morceaux de trucs que je n’ai pas voulu identifier, en plus de mes thèmes.
IB : Et c’est là que tout le monde a crié 4, 3, 2, 1pro ?
PLZ : Non pas tout à fait : avant cela la chanteuse lyrique s’est avancée et elle a fait : “Sincéritééééééééé !”
IB : Et qu’avez-vous fait ?
PLZ : Je suis sorti de la piscine, j’étais furieux vous pensez bien. Je leur ai dit qu’ils n’avaient rien compris au beau jeu et au match d’impro en général, que ce n’était pas du tout l’esprit et là ils ont criés en chœur “4, 3, 2, 1pro ! “. Alors un homme avec un petit bonnet est sorti du lot et il m’a simplement lancé : “Voilà, là t’es dans le vrai !” Applaudissement et tout le monde est rentré dans le théâtre. J’étais trempé, j’avais froid, ils m’ont gentiment jeté mon sac avec mes fringues puis ils ont fermé la porte du théâtre derrière eux.
IB : Comme ça, sans vous remercier ?
PLZ : Euh… Si mais après, ils m’ont remercié sur les réseaux sociaux. Mais du coup ça m’a ouvert de nouveaux horizons sur ce qu’est vraiment le théâtre contemporain. Moi qui ne connaît que l’impro, j’ai bien envie de m’inscrire au prochain “cursus des tentatives”. Les intervenants ont l’air sympa, ça fait de belles photos et puis ça me permettra, peut-être, de revoir Sylvie.
Propos recueillis par Julien Gigault pour Impro-Bretagne