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Tuer le « Oui et » ?

Par : HL — 30 mars 2019 à 11:13

J’ai toujours plutôt apprécié le principe du « Oui et … ». La notion de se servir d’une idée ou d’une proposition comme d’un tremplin m’a toujours séduite et je l’ai enseignée de nombreuses années. Je l’ai toujours estimé nécessaire, car il permet de passer d’une pensée en jugement à une pensée en mouvement.

Aujourd’hui, je commence à me poser des questions, et en échangeant, il apparaît que je ne sois pas seule à me les poser.

Le « Oui et  » m’asservit

Comme tout principe, il atteint ses limites. On a tendance à trop l’enseigner au premier degré et on arrive à des travers de fonctionnement qui exposent improvisateurs et improvisatrices à des pratiques déviantes.

Nombreux sommes-nous à nous être sentis coincés dans une scène, dans une position humiliante, à seconder une proposition dégradante, avec ce « OUI et… » qui nous enlevait notre liberté d’action.

Le baiser – Gustave Klimt

Parce que cette règle est la n°1, la reine des règles, malheur à toi si tu l’enfreins ! Et quand bien même on te fait une proposition qui te met mal à l’aise, dis oui, surtout DIS OUI !
J’ai toujours noté, qu’en France, face à la règle on a deux comportements : absolue soumission ou complète rébellion. Le non est associé à un refus de jeu. Bienvenue dans la dictature de OUI !

Après avoir remué mes méninges, j’en suis passée par un second stade. Avant d’enseigner l’exercice du « Oui et », j’expliquais à mes élèves que l’utilité était de remettre le « Oui » et le « Non » à égalité. Or, improviser c’est se jeter dans l’inconnu, ceci génère des peurs qui induisent des « Non » de résistance alors qu’en réalité le risque est fictif.
Je les poussais au « Oui » pour qu’ils se rendent compte que la scène se construit et que le danger est virtuel.

Mais mes questionnements demeurent ! Je reste insatisfaite !

Le Oui négatif me libère

Aujourd’hui, j’ai découvert un concept merveilleux qui répond à mes dernières interrogations : le « Oui négatif » (Negative Yes). Ce concept est décrit dans le formidable livre de Bill Arnett (Chicago Improv studio), « The complete improviser ».
Bill Arnett avoue ne plus enseigner le « Oui et … ». Nous faisons du théâtre, le Non doit se jouer autant que le Oui. Le principe du Oui négatif est le suivant.

Lorsqu’on me fait une proposition, la seule chose sur laquelle je dois m’accorder, ce sont les circonstances. A savoir si je seconde par un AVEC (« Je suis cool avec ça ») ou un CONTRE (« Je ne suis pas cool avec ça »), relève de mon libre choix.

Exemple :
– « Chérie, j’ai invité Mon patron et sa femme à manger ce soir ! »
Ici, je m’accorde sur les circonstances : Nous sommes un couple et habitons ensemble.
Ensuite j’ai le choix

Je suis cool avec ça et donc :
– « Quelle bonne idée mon Amour ! j’étais justement entrain de faire un bœuf bourguignon »
Je ne suis pas cool avec ça et donc :
– « Mon chéri, mais je t’ai dit que ma mère venait manger ce soir » … et avouez que la perspective d’un repas mélangeant belle mère et patron s’avère savoureuse.

Pour en instaurer la pratique, reprenons l’exercice classique du Goaler, où deux joueurs sont face à face, le premier entame un début de scène avec une proposition forte, et l’autre doit s’adapter spontanément.
Au lieu d’imposer à chaque fois aux participants de dire oui, je refais jouer plusieurs fois la proposition en pratiquant un coup sur deux le « Je suis cool avec ça » et « Je ne suis pas cool avec ça », la seule chose est de savoir s’accorder sur les circonstances.
Et il s’avère que du moment qu’on s’accorde sur les circonstances, ça fonctionne !

Ainsi à la proposition,
« Ah j’ai furieusement envie de toi, déshabille toi là, maintenant, et allonge toi! »
Vous serez d’accord sur les circonstances: le personnage de votre partenaire est une caricature du pervers libidineux. Et à cela, vous aurez la liberté de répondre

NON!

Garder le « Oui et », mais pas sur scène

Ai je aujourd’hui abandonné le « Oui et » ? A vrai dire Non.

Dans un processus d’idéation dans le cadre d’une démarche d’innovation, je l’utilise. Mais sur scène, je ne l’utilise plus !

Le cri du chameau à l’improvidence Bordeaux les 5 et 6 avril 2019. Infos résas ici
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Je ne vous embrasserai pas

Par : HL — 21 janvier 2019 à 16:56

Il fut une époque ou la pratique du baiser sur scène ne me dérangeait pas. Je faisais la chose avec légèreté sans demander à ma ou mon partenaire s’il était à l’aise avec ça .
Et puis quand l’Art avec un grand « A » l’exige et que la scène la réclame, alors on doit s’incliner et s’y adonner.
C’était ainsi que je voyais les choses.

Mais en débattant avec les uns et les autres, on se rend bien compte que la légitimité d’un baiser lors d’une scène est soumise à la subjectivité de chacun.
Ainsi la question de la légitimité est pour moi sans fondement.
La véritable question qui se pose est « Est ce que les comédien.ne.s en jeu sont à l’aise avec le fait d’embrasser ou d’être embrassé.e ? »

Ré-envisageant la chose pour les autres, j’ai remis la question au centre pour moi-même. Et aujourd’hui, j’ose dire, que je ne suis plus à l’aise avec ça.

Difficile à assumer, difficile de se lancer et d’oser l’afficher. Mais après l’étonnement, les improvisateurs et improvisatrices auxquel.le.s je l’ai dit, m’ont tous accueilli avec beaucoup de bienveillance. Et mieux encore, quelques uns d’entre eux m’ont avoué ressentir la même chose.

Est ce que ceci dégrade le niveau d’interprétation ? J’avance l’idée que non. La créativité se sublime face aux contraintes. Et si les limites de notre zone de confort, le rapport à notre intimité constituent une contrainte, quelle jolie contrainte !

Ainsi, si vous n’êtes pas à l’aise avec cette pratique, osez le dire simplement, ce sera bien reçu. Vous n’êtes pas la moitié d’un.e artiste en posant vos limites. En le disant, vous rendrez service à d’autres, et contribuerez à l’instauration d’une atmosphère de confiance et de respect. Et c’est cette confiance et ce respect qui élèvent la qualité de nos pratiques artistiques .

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Créativité et Ego

Par : HL — 31 mars 2012 à 16:10

Les décisions que nous prenons pour les autres sont plus créatives que celles que nous prenons pour nous mêmes. C’est l’objet d’une étude publiée dans « Personality and social psychology Bulletin » en février 2011, reprise et commentée dans le podcast n°48 de Chicago, Improv & Associates.

Cette étude s’appuie sur la théorie des niveaux conceptuels (CLT) qui dit que l’on conçoit ce qui est proche de nous en des termes spécifiques, alors que nous concevons ce qui est loin de nous en des termes plus abstraits. Donc si on veut être créatif, il est bon de mettre une certaine distance entre nous et le problème à résoudre.

Ces conclusions s’appuient sur principalement deux études:

Première étude:
Il a été demandé à deux groupes de personnes de dessiner des Extra-terrestres.
Cependant, le premier groupe avait pour consigne de dessiner des extra-terrestres pour une histoire dont ils seraient l’auteur. Le deuxième groupe avait pour consigne de dessiner des extra-terrestres pour illustrer une histoire écrite par un autre.
Il s’est avéré, que le deuxième groupe était beaucoup plus créatif. Le premier avait davantage tendance à dessiner des créatures faites de morceaux de créatures terrestres (trompe d’éléphant, queue de poisson, etc….).

Deuxième étude:
On demande à deux groupes de personnes de résoudre le problème suivant:
Comment un prisonnier d’une tour peut-il s’évader en coupant une corde qui est pourtant moitié moins longue que la hauteur de la tour?
La solution étant que le prisonnier devra partager la corde en deux dans le sens de la longueur.
Cependant, il a été demandé aux membres du premier groupe de résoudre ce problème en imaginant qu’ils étaient le prisonnier, au deuxième groupe pour une autre personne qu’eux, prisonnière dans la tour. Il s’est avéré que 66% des membres du deuxième groupe ont trouvé la solution, contre seulement 48% des membres du premier groupe.

Cette étude vient donc bien appuyer les préceptes de Del Close (créateur du Harold) et Charna Halpern (IO à Chicago) qui poussent les comédiens à prendre soin de leur partenaires dans une scène:

« The best way to look good is to make your fellow players look good ».
« Le meilleur moyen de paraitre bon est de faire en sorte que vos co-joueurs aient l’air bons« 

L’effet est donc double: d’une part on favorise le lien avec les autres acteurs (propice à la spontanéité) , d’autre part (et c’est ce que dit cette étude) on libère notre propre créativité. Pas la peine donc de se crisper avant un spectacle sur sa propre performance, vous arriveriez au résultat inverse.

Sources:

  • Chicago Improv & Associates – Zenprov – Podcast 48
  • « Decisions for Others Are More Creative Than Decisions for the Self » Polman, Emich
  • Truth in comedy – Charna Halpern – Del Close.
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