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En impro, « Écoute !  » n’aide pas à jouer

Par : HL — 20 août 2018 à 16:06

Après la « règle » du « Oui et … » , « Écoute ! » est la deuxième règle qu’on enseigne en improvisation. Ou vice versa. En tout cas on les apprend très tôt et à haute dose. Cette recommandation ne m’a jamais convenue. J’ai toujours eu l’impression qu’en l’adoptant, je me mettais des bâtons dans les roues. Sans savoir pourquoi, je me suis tenue à l’écart de ce mot d’ordre. J’ai trouvé d’autres solutions. Mais aujourd’hui, j’arrive à cerner ce qui me dérangeait dans ce précepte.

En reprenant la première définition du petit Robert:

Écouter , v.tr. : S’appliquer à entendre, prêter son attention à

Or, selon les travaux de S Dehaene, de l’Académie des sciences [1], l’attention contrôle la voie d’accès à la conscience. Ainsi, le fait d’écouter opère déjà une sélection des informations qui parviennent à la toute petite scène éclairée de notre conscience [2] . De plus, elle induit un processus mental beaucoup plus lent :

« Notre cerveau abrite deux grande catégories de processus : les processeurs inconscients, infatigables calculateurs prodiges de la statistique, et le traitement conscient, qui fonctionne sur la base d’un lent échantillonnage ». [1]

Ainsi, en focalisant notre attention sur certaines informations, on passe forcément à côté de milliers d’autres.

Pas étonnant qu’on assiste aux dialogues de sourds entre improvisateurs après spectacle « Mais écoute quand tu joues ! J’avais dit ou fait ça … Tu n’as pas écouté » et l’autre de répondre « Mais si j’écoute ». Or la volonté d’écouter était bien là, mais les informations qui se sont frayées un chemin jusqu’à l’éclairage de la conscience, n’étaient pas les mêmes. Ainsi , on peut déjà progresser sur un point : cesser de se blâmer mutuellement sur le manque d’écoute.

Rester aux franges de la conscience

Entre le conscient et l’inconscient, il y a le stade pré-conscient. Et qui va jouer sur ce terrain ? Notre intuition. En effet, toujours selon Dehaene, si la conscience requiert l’attention, l’inverse n’est pas vrai. Nous pouvons faire attention à un stimulus sans pour autant en être conscient.

Je garde en souvenir le reportage sur les bleus de 98 où lors du quart de finale, au moment de la séance de tirs au but, l’assistant coach qui avait étudié de prêt toutes les statistiques des joueurs italiens, s’approche de Barthez pour lui faire part de ses analyses. Celui ci le balaye du revers de la main et en commentaire dit, en pointant son nez, que dans ces moments là, il n’y a que ce que tu sens qui compte. Barthez avait compris que son intuition lui permettrait de capter beaucoup plus d’informations et plus rapidement, qu’une analyse cartésienne. Et il a eu bien raison.

Les processus inconscients sont excellents dans le traitement simultané de très nombreuses informations. Il peuvent prendre en compte plusieurs paramètres et aboutir à une décision rapide. De nombreuses expériences suggèrent donc qu’il vaut mieux laisser certains problèmes aux franges de la conscience plutôt que de les décortiquer point par point.

Quelles solutions alors s’offrent à nous ?

Concrètement, du coup, quelles solutions avons nous ? A quel précepte pouvons nous avoir recours?

Je dirais que dans un premier temps, il faut mettre sur le banc de touche la notion de précepte ou de règle, car elle active la volonté, l’intention  (donc l’attention) qui réduisent le champ de perception. Je parlerais donc plutôt d’ « Etat ». Dans quel « Etat » dois je être pour jouer ?

Personnellement je parle d’ « Etat Buvard », perméable et disponible à toute ce qui se passe. Un état malléable, qui se modifie au gré des occurrences. Beaucoup d’entre nous parlent de connexion et d’impulsion, et dans ces termes j’ai trouvé mes solutions.

La méthode d’Acting de Sanford Meisner est assez efficace pour aller dans ce sens. Elle consiste à se laisser transformer au gré des impulsions en désactivant toute volonté de « Bien jouer ». Pour cela, je reprendrai les mots de Larry Silverberg, Professeur de « The Sanford Meisner Approach »:

« The great News is that when our attention is not on being emotional, our emotions suddenly become much more available »[3]

Ainsi, pour jouer l’émotion, mieux vaut ne pas avoir l’intention de le faire. Idem pour l’écoute : si notre volonté est d’intégrer le plus d’impulsions possibles, mieux vaut ne pas avoir la volonté d’écouter, mais juste de se mettre dans un état disponible à tout ce qui arrive.

Sources:

[1] Le code de la conscience – Stanislas Dehaene

[2] Neuroleadership – James Teboul & Philippe Damier

[3] The Sanford Meisner Approach – Larry Silverberg

 

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Faire un Feedback

Par : HL — 16 octobre 2015 à 11:46

Pour faire un feedback efficace qui fera faire des progrès, il faut qu’il soit court, qu’il consolide, qu’il cible et qu’il s’énonce de manière affirmative.

Personne ne s’accorde sur la manière de faire un retour après un spectacle ou auprès d’une personne. En improvisation, le thème du « Retour » est le sujet le plus polémique qui soit.

Certains vont prétendre qu’un bon feedback est un feedback franc, honnête, détaillé, qui se fait sans taboo. D’autres contrediront en affirmant qu’un feedback ne doit pas « casser  » ou « déstabiliser », il doit donc ménager et mettre en confiance. Bref, entre les Bisounours et les Ayatollah de l’exigence de qualité, on s’y perd.

Pour bâtir notre argumentaire, nous allons nous inspirer d’un FORMIDABLE livre (en anglais mais rapide à lire, et que l’on peut parcourir en picorant): « Directing Improv » de Asaf Ronen.

Pour construire un  feedback efficace, il faut d’abord se demander quel objectif on veut atteindre.

Si c’est dire la vérité parce que vous êtes franc, honnête et courageux, alors précipitez vous dans les manifestations qui œuvrent pour la défense des droits de l’homme. Elles ont besoin de combattants (je le dis on ne peut plus sérieusement). Je ne vois pas l’intérêt de montrer votre incommensurable franchise dans le cadre d’un feedback….Surtout pour ponctuer celui-ci de la petite phrase récurrente: « Ne prends pas mal ce que je dis ». Vous n’avez pas la maîtrise de la façon dont votre feedback est perçu. Une fois qu’il est jeté , il ne vous appartient plus.

Si c’est de donner du réconfort, je ne peux que vous encourager. Ça ne fera pas progresser mais ça remontera le moral.

Si c’est pour aider la personne ou la troupe à trouver des solutions et évoluer, alors il y a quatre choses à savoir:

  • Un bon feedback est court (pas plus de dix minutes).
  • Un bon feedback consolide
  • Un bon feedback est ciblé
  • Un bon feedback s’énonce de manière affirmative

Maintenant , détaillons:

Un bon Feedback est court (pas plus de dix minutes).
Sachez qu’on ne peut retenir l’attention d’un groupe que quelques minutes. Le faire trop durer atténuera la portée de votre retour.
De plus, inonder d’un retour très détaillé va soit accabler soit fermer l’écoute de vos interlocuteurs.
Il faut qu’à l’issue de votre feedback, vos interlocuteurs aient retenu maximum trois choses essentielles.

Un bon Feedback consolide
Éclairez le joueurs ou la troupe sur les acquis et les progrès déjà en place. Cette base sert de tremplin, et favorise une meilleure prise en compte de votre éclairage.

Un bon feedback est ciblé
Ayez en tête un ou deux points que vous souhaitez voir corrigés. Pas plus. La progression se fait pas à pas. Pour que l’objectif soit réalisable , il faut qu’il soit atteignable. Ces points doivent faire l’objet de pistes de travail sur les prochains stages ou ateliers.

Un bon feedback s’énonce de manière affirmative
Lorsqu’on énonce une recommandation avec une négation, le cerveau active la zone de la censure et éteint la zone de la créativité (cf article l’impro et le cerveau sur ce blog). De plus, ce satané inconscient qui nous joue si souvent des tours, va retenir l’interdit et être irrémédiablement attiré par lui.

Je donne deux exemples criants:
– Marchez sur une poutre, essayez de tenir l’équilibre en vous répétant sans arrêt « Ne tombe pas! NE TOMBE PAS ! NE TOMBE SURTOUT PAS! » …. Je ne vous donne pas dix secondes avant de vous casser la figure.
– Il n’y a pas si longtemps, lors d’une scène improvisée, mon partenaire (ou plutôt son personnage…), me demande mon code de carte bleu. Moi je pense « Ne donne pas ton vrai code! Ne donne pas ton vrai code! NE DONNE PAS TON VRAI CODE! ». Du coup…. j’ai donné mon vrai code! Ce que mon gentil partenaire (et non son personnage) n’a pas hésité à pointer devant une salle remplie de spectateurs. J’étais bonne pour appeler ma banque le lendemain.

Ainsi, pour sortir quelqu’un d’un travers, donnez lui une piste qui va l’emmener ailleurs:

Si vous avez affaire à un improvisateur qui se réfugie souvent dans la vulgarité et que vous lui dites:  « Arrête d’être vulgaire! Ne dis pas de gros mots! », la réaction en chaîne sera censure – éteinte de créativité – peur – et revulgarité car peur.
Mieux vaut lui dire : « Je pense que maintenant tu peux tenter d’explorer d’autres styles de narration. Commence par explorer les contes médiévaux ou pour enfant sur les prochains ateliers.  »
On peut aussi lui donner un mantra ou un animal totem qui saura l’inspirer.

Asaf Ronen fait faire l’exercice suivant: les débutants ont l’habitude de sans cesse faire des petits pas sur scène. Plutôt que de dire « Arrête de bouger! », lors d’un atelier: il dispose des plots dans la salle , et la scène doit se jouer en se déplaçant d’un plot à un autre. Les déplacements se trouvent d’eux même canalisés. Après avoir fait l’exercice plusieurs fois, fini les petits mouvements parasites.

En fait, en improvisation, on en revient toujours à la même chose:
qu’on parle de jeu sur scène ou de formation , l’objectif à atteindre est de libérer la créativité de ses partenaires ,quitte à employer des moyens plus ou moins honnêtes …

 

 

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